« Il m’a pris les mains et la couleur du ciel a soudainement changé
C’est un simple geste, plus haut que celui du Nazaréen, plus humain, un geste qui frôle le doigt de Dieu, qui met, à hauteur de coeur, les coeurs à l’unisson
Un regard attentif qui perce à jour nos secrets les plus intimes, sans jamais les violer
L’eau est le médium qui fait parler l’artiste, fait s'exprimer le poète, qui remet l’homme au centre de toute chose
Je savais qu’on voit le monde avec la couleur de ses yeux, mais on ne l’appréhende bien qu’avec un passeur d’univers
Il vous dépose des galaxies dans le creux de la paume, et sans que l’on ne le sache tout à fait à l’instant, vous allume des étoiles dans la tête
Il est le nautonier qui nous fait passer de la rive de nos faiblesses à celle de la quiétude et d’une redécouverte de nous-mêmes, celui qui propose à chacun une expérience individuelle mais universelle
Peut-être est-ce cela qui nous manque, une main qui nous prenne la main, non pour nous guider, mais simplement pour nous parler »
Philippe Constantin
à propos de « Manuel, laveur de mains » au Paléo Festival - Nyon
Manuel, le poète insoupçonné
L’Est Républicain
Manuel prend soin des mains et des esprits
L’Écho Républicain
« Et tandis que Manuel lave les mains, il conte des histoires à ceux qui veulent bien les entendre. Une précision : Manuel ne lave que les mains propres ! »
Ouest France
« Quand vous croiserez Manuel et son drôle de vélo-lavabo, ne restez pas à l’écart. Pas tant pour vous laver les mains que pour faire connaissance avec le bonhomme, pétri d’humour, de grands sentiments et de poésie. »
Sud Ouest
« Il s’en va de bon matin à bicyclette. Il s’en va sur les chemins pour laver les mains des passants. En mettant pied à terre, Manuel prend furtivement votre main et vous confie, avec quelques caresses, des mots doux, une poésie. Même s’il a repris le métier de son grand-père, Manuel n’est pas un artiste de seconde main. Alors, si vous le croisez, ne tendez pas le pouce mais toute la main ! Vous ne le regretterez pas ! »
Thierry Voisin - Télérama Sortir
Émission « Le goût des autres » sur France Inter
Festivals de marionnettes
Moisson d’Avril - Lyon
Étincelles - Billom
La tortue magique - Orléans
Figura Festival - Baden (Suisse)
Festival Mima à Mirepoix
Fêtes de villes, villages ou quartiers
Fête du Panier - Marseille
Fête du Vieux Lyon
Fête de la soupe - Lille
Festivals de théâtre de rue
Excentrique, festival de la Région Centre
Les Noctibules - Annecy
Déambul’ - Digne-les-Bains
La Chalibaude - Château-Gontier
Coup de Chauffe - Cognac
Festival de Namur en mai - Belgique
Festival international de théâtre de Salamanca - Espagne
Festival Parade(s) - Nanterre
Les Turbulentes - Vieux-Condé
Renaissances - Bar-le-Duc
Festival Gratte Bitume à Genève (Suisse)
Festival International des Arts de Rue (Belgique)
Chalon dans la Rue
Autres festivals
Le Printemps des rues - Paris Xe
Les Siacreries de Carros
Les Guinguettes sur Yvette
Au bonheur des mômes - Grand Bornand
Festival des Pieds et des Mains - Lons-le-Saunier
Feron’Art à Feron
Festival de poésie de Lodève : Les voix de la Méditerranée
Theaterfestival Boulevard à Hertogenbosch (Pays Bas)
Les Echappées Belles de Blanquefort
Festival Malices et Merveilles à la Maladrerie de Beauvais
Festival Kikloche, Sillé le Guillaume
Paléo Festival à Nyon en Suisse
L’avide jardin à Muttersholtz
Festival International de Géographie à Saint Die des Vosges
Chahut au Château à Gevingey
Journée du Patrimoine à Schlitingheim
Poésie en Ville aux Bains des Paquis à Genève
Festival Django, au Centre Culturel Pont-à-Celles
Fête du Vélo avec Mobil’idées à Gap
Animakt à Saulx les Chartreux
Festival de fanfares à Dole
Semaine de la qualité aux Cliniques Saint Luc à Bruxelles
Depuis 15 ans, Manuel distille les mots à l'alambic de son Vélovabo pour colporter la poésie dans l'espace public.
Voici l'ensemble des textes choisis dans une multitude de recueils de poésie contemporaine ou classique.
L’intuition ou le hasard , c’est selon, guide le choix du poème adressé au passant cueilli au gré des rencontres. Dans le secret désir d'une résonance au plus intime de la personne.
Adonis
Entre mon coeur et mes pensées…
Bachir Hadj Ali
Rêves en désordre
Guillaume Apollinaire
Il y a
Nikos-Alexis Aslanoglou
Ars Poética
Charles Baudelaire
Spleen
L’ennemi
Réversibilité
Le parfum
L’albatros
Victor Borrador
Du plus loin…
Emmanuelle Bunel
L’oiseau blessé
Carlos Castaneda
Chemin
Blaise Cendrars
Rire
René Char
Allégeance
Andrée Chedid
La vie
Obstacle
Voyage
Le vent
Libre
Jean Cocteau
Odile
Mahmoud Darwich
Pense aux autres
Hélène Dassavray
Tout le monde a un grain
Robert Desnos
J’ai tant rêvé de toi
Guillevic
Silence
Nâzim Hikmet
Un envieux
Voilà
Tahar Ben Jelloun
Quel destin …
Quel oiseau ivre
Il est des êtres…
Roberto Juarroz
( Poésie verticale )
Géo Norge
La brebis galeuse
Les oignons
Li Po
S’éveillant de l’ivresse un matin de printemps
Jack London
Vivre
F.G Lorca
Fenêtre
Henri Michaux
Colère
Vers la sérénité
Henri Michaux
L’éther (la faiblesse)
Clown
Bonheur
La simplicité
Athina Papadaki
Contre les demi-mesures
Fernando Pessoa
( Le gardeur de troupeaux )
Raymond Queneau
Egocentrisme
Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète (extraits)
Arthur Rimbaud
Ma bohème (fantaisie)
Titos Patrikios
Une lettre
Saint John Perse
( Vents )
Ruy Proenca
Lieux
Philippe Soupault
Rien
Jules Supervielle
Dieu crée la femme
La mer secrète
Yorgos Thémélis
La terre
Itinéraire
Paul Vincensini
Qu’est-ce qu’ils bouffent ?
Kateb Yacine
Africains
Entre mes pensées et mon cœur le même dialogue
Je l’ai toujours écouté
Toujours deviné : mon cœur
Est présence et mes pensées
Devenir
Ceci est la métaphore d’une vielle ambiguïté
Mes chemins restent perplexes
Se recoupant parfois
Et d’autres parallèles à ne plus se rejoindre
J’ai toujours écouté mes pensées en interrogent mon cœur :
Mon âme, où puise-t-elle ses tourments ?
La plus belle des pensées
Est que la vérité est suspicion
Adonis
Je rêve d’îlots rieurs et de criques ombragées
Je rêve de cités verdoyantes silencieuses la nuit
Je rêve de villages blancs bleus sans trachome
Je rêve de fleuves profonds sagement paresseux
Je rêve de protection pour les forêts convalescentes
Je rêve de sources annonciatrices de cerisaies
Je rêve de vagues blondes éclaboussant les pylônes
Je rêve de derricks couleur de premier mai
Je rêve de dentelles langoureuses sur les pistes brûlées
Je rêve d’usines fuselées et de mains adroites
Je rêve de bibliothèques cosmiques au clair de lune
Je rêve de réfectoires fresques méditerranéennes
Je rêve de tuiles rouges au sommet du Chélia
Je rêve de rideaux froncés aux vitres de mes tribus
Je rêve d’un commutateur ivoire par pièce
Je rêve d’une pièce claire par enfant
Je rêve d’une table transparente par famille
Je rêve d’une nappe fleurie par table
Je rêve de pouvoirs d’achat élégants
Je rêve de fiancées délivrées des transactions secrètes
Je rêve de couples harmonieusement accordés
Je rêve d’hommes équilibrés en présence de la femme
Je rêve de femmes à l’aise en présence de l’homme
Je rêve de danses rythmiques sur les stades
Et de paysannes chaussées de cuir spectatrices
Je rêve de tournois géométriques inter-lycées
Je rêve de joutes oratoires entre les crêtes et les vallées
Je rêve de concerts l’été dans les jardins suspendus
Je rêve de marchés persans modernisés
Pour chacun selon ses besoins
Je rêve de mon peuple valeureux cultivé bon
Je rêve de mon pays sans tortures sans prisons
Je scrute de mes yeux myopes mes rêves dans ma prison
Bachir Hadj Ali
Il y a des petits ponts épatants
Il y a mon cœur qui bat pour toi
Il y a une femme triste sur la route
Il y a un beau petit cottage dans un jardin
Il y a six soldats qui s’amusent comme des fous
Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline
Et un vieux territorial pisse quand nous passons
Il y a un poète qui rêve au ptit Lou
Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris
Il y a une batterie dans une forêt
Il y a un berger qui paît ses moutons
Il y a ma vie qui t’appartient
Il y a mon porte-plume réservoir qui court qui court
Il y a un rideau de peupliers délicat délicat
Il y a toute ma vie passée qui est bien passée
Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades
Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine
Il y a des wagons belges sur la voie
Il y a mon amour
Il y a toute la vie
Je t’adore
Guillaume Apollinaire
Ars Poetica
Je veux que le poème soit nuit, errance
dans des rues isolées, des artères
où la vie vient danser. Je veux
qu’il soit combat, non pas musique dénouée
mais passion d ‘exprimer en soi l’incohérence
le désordre qui prendra feu si l’on ne joue pas
le tout pour le tout.
Tandis que les autres, indifférents, sûrs d’eux
se gaspillent, ou se préparent le soir
à mourir, toute la nuit je cherche de petits cailloux
incorruptibles dans le monologue de chaque jour
même très usés.
Qu’ils brillent dans leur épaisse obscurité, maigres insectes hasardeux,
que le sens tue et qu’abreuve le sentiment.
Nikos-alexis ASLANOGLOU
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé ça et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
Charles Baudelaire /Les fleurs du Mal
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l’Espérance, comme une chauve-souris,
S’en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D’une vaste prison imite les barreaux,
Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Charles Baudelaire
Les fleurs du Mal
Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté ;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !
Charles Baudelaire
Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d’encens qui remplit les églises,
Ou d’un sachet de musc invétéré ?
Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré !
Ainsi l’amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux élastiques et lourds,
Vivant sachet, encensoir de l’alcôve,
Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours,
Tout imprégné de sa jeunesse pure,
Se dégageait un parfum de fourrure.
Charles Baudelaire
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Du plus loin que perçoive l’oreille
Par delà plus haute montagne
Ecoute !
Voilà ce que le vent m’a raconté :
« Moi l’être intarissable
Le fleuve de la mémoire
Le souffle invisible
Qui sèche les larmes des yeux
Et déshabille les arbres
Voici ce que j’ai entendu :
Dans la foule l’homme est aux abois
C’est un solitaire
Un marcheur
Habitué à coucher dans le provisoire
On n’est jamais aussi seul qu’au milieu d’une foule
La foule…
Le couteau entre les dents
Des aiguilles plein les poches
la peur épingle les hommes
Leur cœur est de pierre
Il ne se voit plus
Ils oublient leur rêve
L’homme qui veut vivre
Vivant
Qui veut marcher son rêve
L’homme dont le métier est de vivre
Doit lâcher le passé et accepter le chemin
Ecoute
La réponse est soufflée par le vent
Sans cela tu mourras
L’eau vient du ciel
Les larmes sont infinies
Ton ciel t’inonde depuis ta naissance
Mais toi tu retiens tes larmes
Quand les larmes arrosent le cœur
L’âme se réjouit
Ecoute ce que dit le vent
La pierre est dure on peut la briser
L’eau coule rien ne l’arrête elle cherche toujours le passage
Et finit par passer
C’est bon de pleurer petite nuit
L’eau arrose et nous fait pousser
La pierre s’est fendue
Tu es une eau accepte ta vie et passe
Victor Borrador, poète publique
L’oiseau n’avait pas vu la vitre
ll volait en flèche si vite
Qu’il mourut sur la transparence
Sois papillon
La nonchalance te fera caresser de l’aile
La douceur des vitres mortelles
Je serai l’oiseau qui se tue
Le verre en se brisant
Réveille les dormeurs des maisons têtues
Où s’empoussièrent des merveilles
Emmanuelle Bunel
Chemin
N’importe quel choix trace un chemin parmi des millions d’autres. C’est la raison pour laquelle le guerrier doit toujours se rappeler qu’un chemin n’est qu’un chemin ; s’il sent qu’il ne doit pas le suivre, inutile d’insister. Sa décision de le suivre ou de le quitter doit être libre de toute peur ou de toute ambition. Il doit examiner chaque chemin possible soigneusement et consciemment. Il devra alors se poser obligatoirement cette question : ce chemin a-t-il un cœur ?
Tous les chemins se ressemblent : ils ne mènent nulle part. Pourtant, un chemin qui n'a pas de cœur n’est pas profitable. En revanche, celui qui en a un est aisé – le guerrier n’aura pas à se forcer pour le suivre ; il sera joyeux tout au long du voyage ; tant qu’il ne s’en écartera pas, il ne fera qu’un avec lui.
Carlos Castaneda
Rire
Je ris
Tu ris
Nous rions
Plus rien ne compte
Sauf ce rire que nous aimons
Il faut savoir être bête et content
Blaise Cendrars
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima ?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?
René Char
La vie
Ce temps qui nous engloutit
Ce souffle de passage
Cette brièveté des jours
Ce secret souterrain
Cette surprenante
Cette remuante
Ce presque rien :
La vie !
Cet aimant vers l’ailleurs
Cette flamme dans la nuit
Cette entaille de l’ombre
Cette esquisse d’éternité
Cet essor vers l’avenir
Cet élan du désir
Cette mystérieuse
Cette fabuleuse
Ce presque tout :
La vie !
Andrée Chedid
Obstacle
Je me heurte à l’obstacle
Je m’ensable
Et je m’envase
Je résiste et me démène
Je combats
Et je bataille
L’obstacle se réduit
Je m’en dégage
Suis-je délivrée ?
Est-il franchi ?
Andrée Chedid
Voyage
J’en ai fait des périples
Et navigué longtemps
Sur la terre des hommes
faisant halte parfois
Pour rêver
Des figures m’assaillaient
Des songes me grandissaient
Multipliant l’existence
D’aventures
De paroles
De projets
Illuminant ma vie
Conduite toujours
Plus loin que mes pensées
Par des rêves fertiles
L’image était mon maître
J’inventais l’horizon…
Andrée Chedid
Le vent
Ce vent tourmenté
Qui se dit par rafales
Ce vent cinglant
Qui s’exprime en turbulences
Je suis à sa portée
Son souffle me guide
Ces vents célestes
Ces vents de terre
Effaçant nos parcours
Me donnent leur force
Leur liberté
Je navigue …
Andrée Chedid
Libre
J’ai le champ libre
J’ai desserré les liens
Qui m’attachent
Enhardie
Libérée
Je m’engage
Sur ma route
Et cherche ce lieu
Sans promesses
Où je serais partout
Andrée Chedid
Odile
Odile rêve au bord de l’île
Lorsqu’un crocodile surgit ;
Odile a peur du crocodile
Et, lui écrivant un « Ci-gît »,
Le crocodile croque Odile.
Caï raconte ce roman,
Mais sans doute Caï l’invente.
Odile alors serait vivante,
Et dans ce cas-là, Caï ment.
Un autre ami d’Odile, Alligue,
Pour faire croire à cette mort,
Se démène, paye et intrigue.
D’aucuns disent qu’Alligue a tort.
Jean Cocteau
Quand tu prépares ton petit déjeuner, pense aux autres.
(N’oublie pas le grain aux colombes.)
Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres.
(N’oublie pas ceux qui réclament la paix.)
Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres.
(Qui tètent les nuages.)
Quand tu rentres à la maison, ta maison, pense aux autres.
(N’oublie pas le peuple des tentes.)
Quand tu comptes les étoiles pour dormir, pense aux autres.
(Certains n’ont pas le loisir de rêver.)
Quand tu te libères par la métonymie, pense aux autres.
(Qui ont perdu le droit à la parole.)
Quand tu penses aux autres lointains,
Pense à toi.
(Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir ?)
Mahmoud Darwich
Comme des fleurs d’amandier ou plus loin
Tout le monde a un grain
au moins une colère
quelque chose à moudre
une poussière dans l’oeil
un livret à trancher
une tempête en soi
un autre bateau à prendre
un grain pour tout le monde
du sable dans les rouages
une beauté secrète
quelque chose qui veille
une folie chronique
un rêve qui germe
Hélène Dassavray
Comme certaines musiques, le poème fait chanter le silence
Amène à toucher un autre silence
Encore plus silence
Guillevic
J'ai tant rêvé de toi
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère ? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'a être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.
Robert Desnos
Quel envieux tu fais
comment peux-tu être jaloux de l’oiseau
parce qu’il vole les ailes déployées ?
Vraiment tu crèves d’envie,
passe encore de te rêver libre comme le vent
mais te vouloir eau qui ruisselle…
Quel envieux tu fais
ne te suffit-il donc pas d’être poète
pour que tu regrettes de ne pas être grain de blé…
Nâzim Hikmet / Il neige dans la nuit
Je suis dans la clarté qui s'avance
Mes mains sont pleines de désirs, le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres,
les arbres si pleins d’espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé s’en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie.
Je ne sens pas l’odeur des médicaments.
Les œillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n’est pas la question,
la question est de ne pas se rendre…
Nâzim Hikmet / Il neige dans la nuit
Quel destin pour l’être frappé de lucidité suprême !
Une lumière trop vive donne la cécité.
Une lumière qui se retire des yeux qui ont tout vu procure une infirmité apaisante.
Tahar Ben Jelloun
Il est des êtres qui attirent la foudre. Leur orgueil est de la même lignée. Une haute exigence. Il s’agit pour eux d’affronter cette déchirure dans le ciel et de s’y mesurer. L’enjeu ? La mort ou l’absolu suprême.
Tahar Ben Jelloun
Quel oiseau ivre naîtra de ton absence
Toi la main du couchant mêlée à mon rire
et la larme devenue diamant
monte sur la paupière du jour
c’est ton front que je dessine
dans le vol de la lumière
et ton regard
s’en va
sur la vague retournée
un soir de sable
mon corps n’est plus ce miroir qui danse
alors je me souviens
tu te rappelles
toi l’enfant née d’un gazelle
le rêve balbutiait en nous
son chant éphémère
le vent et l’automne dans une petite solitude
je te disais
laisse tes pieds nus sur la terre mouillée
une rue blanche
et un arbre
seront ma mémoire
donne tes yeux à l’horizon qui chante
ma main
suspend la chevelure de la mer
et frôle ta nuque
mais tu trembles dans le miroir de mon corps
nuage
ma voix
te porte vers le jardin d’arbres argentés
c’était un printemps ouvert sur le ciel
il m’a donné une enfant
une enfant qui pleure
une étoile scindée
et mon désir se sépare du jour
je le ramasse dans une feuille de papier
et je m’en vais cacher la folie
dans un roc de solitude
Tahar Ben Jelloun
Le pouvoir de l’oubli
me fait voir une écriture dans le ciel
et la lente genèse de tes larmes.
Le pouvoir de l’oubli
me permet de t’écouter.
Roberto Juarroz
Je pense qu’en ce moment
Personne peut-être ne pense à moi dans l’univers,
Que moi seul je me pense,
Et si maintenant je mourais,
Personne, ni moi, ne me penserait ;
Et ici commence l’abîme ;
Comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre soutien et me l’ôte.
Je contribue à tapisser d’absence toutes choses.
C’est pour cela peut-être
Que penser à un homme
Revient à le sauver.
Roberto Juarroz
Poésie verticale
Chacun s’en va comme il peut
les uns la poitrine entrouverte,
les autres avec une seule main,
les uns la carte d’identité en poche,
les autres dans l’âme,
les uns la lune vissée au sang
et les autres n’ayant ni sang, ni lune, ni souvenirs.
Chacun s’en va même s’il ne peut,
les uns l’amour entre les dents,
les autres en se changeant la peau,
les uns avec la vie et la mort,
les autres avec la mort et la vie,
les uns la main sur l’épaule
et les autres sur l’épaule d’un autre.
Chacun s’en va parce qu’il s’en va,
les uns avec quelqu’un qui les hante,
les autres sans s’être croisés avec personne,
les uns par la porte qui donne ou semble donner sur le chemin,
les autres par une porte dessinée sur le mur ou peut-être dans l’air
les uns sans avoir commencé à vivre
et les autres sans avoir commencé à vivre.
Mais tous s’en vont les pieds attachés,
les uns par le chemin qu’ils ont fait,
les autres par celui qu’ils n’ont pas fait
et tous par celui qu’ils ne feront jamais.
Roberto Juarroz
Tandis que tu fais une chose ou l’autre,
quelqu’un est en train de mourir.
Tandis que tu brosses tes souliers,
tandis que tu cèdes à la haine,
tandis que tu écris une lettre prolixe
à ton amour unique ou non unique.
Et même si tu pouvais parvenir à ne rien faire,
quelqu’un serait en train de mourir,
essayant en vain de rassembler tous les coins,
essayant en vain de ne pas regarder fixement le mur.
Et même si tu étais en train de mourir,
quelqu’un de plus serait en train de mourir,
en dépit de ton désir légitime
de mourir un bref instant en exclusivité.
C’est pourquoi, si l’on t’interroge sur le monde
répond simplement : quelqu’un est en train de mourir.
Roberto Juarroz
Ne pas regarder, simplement :
creuser les choses
ou les remplir du regard.
Ne pas penser, simplement :
faire ce qu’on pense
rien qu’en le pensant.
Ne pas aimer, simplement :
descendre par l’amour aux tréfonds
de ce qu’on aime.
Ne pas vivre, simplement :
porter la substance de la vie
jusqu’à la rive opposée.
Ne pas mourir, simplement :
aplanir du poids de la mort
le sentier interminable.
Roberto Juarroz
L’ombre est un fruit mûri à contretemps.
Si on le presse, il donne le jus de la lumière
mais peut aussi tacher les mains pour toujours.
Il faut vivre l’ombre comme un fruit,
mais la vivre du dedans
comme on vit sa propre voix.
Et il faut sortir d’elle goutte à goutte
ou mot à mot,
jusqu’à devenir lumière sans s’en rendre compte ;
Le jour des hommes n’est pas un jeu.
Le jour des hommes est fait
de quelque chose qui ne commence qu’avec la lumière.
Roberto Juarroz
Puisque vivre en ce monde est le songe d’un songe
ni souci, ni travail ne me le gâcheront.
Et du matin au soir je bois et je m’enivre
endormi, allongé sur le pas de ma porte.
Lorsque je me réveille, il y a le jardin,
un seul oiseau qui chante au milieu des fleurs.
Je ne sais plus le jour, la saison, ni le temps.
Un loriot sans repos bavarde dans le vent.
Tant me touche son chant que je pousse un soupir.
Le vin est devant moi. Je m’en verse une coupe,
puis j’attends en chantant que la lune se lève,
et ma chanson finit je retourne à l’oubli.
Li Po
Celui qui n’accepte pas ce monde n’y bâtit pas de maison. S’il a froid, c’est sans avoir froid. Il a chaud sans chaleur. S’il abat des bouleaux, c’est comme s’il n’abattait rien ; mais les bouleaux sont là, par terre et il reçoit l’argent convenu, ou bien il ne reçoit que des coups. Il reçoit les coups comme un don sans signification, et il repart sans s’étonner.
Il boit l’eau sans avoir soif, il s’enfonce dans le roc sans se trouver mal. La jambe cassée, sous un camion, il garde son air habituel et songe à la paix, à la paix, à la paix si difficile à obtenir, si difficile à garder, à la paix.
Sans être jamais sorti, le monde lui est familier. Il connaît bien la mer. La mer est constamment sous lui, une mer sans eau, mais non pas sans vagues, mais non pas sans étendue. Il connaît bien les rivières. Elles le traversent constamment, sans eau mais non pas sans largeur, mais non pas sans torrents soudains.
Des ouragans sans air font rage en lui. L’immobilité de la Terre est aussi la sienne. Des routes, des véhicules, des troupeaux sans fin le parcourent, et un grand arbre sans cellulose mais bien ferme mûrit en lui un fruit amer, amer souvent, doux rarement.
Ainsi à l’écart, toujours seul au rendez-vous, sans jamais retenir une main dans ses mains, il songe, le hameçon au cœur, à la paix, à la damnée paix lancinante, la sienne, et à la paix qu’on dit être par-dessus cette paix.
Henri Michaux
La colère chez moi ne vient pas d’emblée. Si rapide qu’elle soit à naître, elle est précédée d’un grand bonheur, toujours, et qui arrive en frissonnant.
Il est soufflé d’un coup et la colère se met en boule. Tout en moi prend son poste de combat, et mes muscles qui veulent intervenir me font mal.
Mais il n’y a aucun ennemi. Cela me soulagerait d’en avoir. Mais les ennemis que j‘ai ne sont pas des corps à battre, car ils manquent totalement de corps.
Cependant, après un certain temps, ma colère cède… par fatigue peut-être, car la colère est un équilibre qu’il est pénible de garder… il y a aussi la satisfaction indéniable d’avoir travaillé et l’illusion encore que les ennemis s’enfuirent en renonçant à la lutte.
Henri Michaux
Bonheur
Parfois, tout d’un coup, sans cause visible, s’étend sur moi un grand frisson de bonheur.
Venant d’un centre de moi-même si intérieur que je l’ignorais, il met, quoique roulant à une vitesse extrême, il met un temps considérable à se développer jusqu’à mes extrémités.
Ce frisson est parfaitement pur. Si longuement qu’il chemine en moi, jamais il ne rencontre d’organe bas, ni d’ailleurs d’aucune sorte, ni ne rencontre plus idées ni sensations, tant est absolue son intimité.
Et Lui et moi sommes parfaitement seuls.
Peut-être bien, me parcourant dans toutes mes parties, demande-t-il au passage à celles-ci : « Eh bien ? Ça va ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ici ? » C’est possible, et qu’il les réconforte à sa façon. Mais je ne suis pas mis au courant.
Je voudrais aussi crier mon bonheur, mais quoi dire ? cela est si strictement personnel.
Bientôt la jouissance est trop forte. Sans que je m’en rende compte, en quelques secondes cela est devenu une souffrance atroce, un assassinat. La paralysie ! Me dis-je.
Je fais vite quelques mouvements, je m’asperge de beaucoup d’eau, ou plus simplement, je me couche sur le ventre et cela passe.
Henri Michaux
L’homme a un besoin méconnu. Il a besoin de faiblesse. C’est pourquoi la continence, maladie de l’excès de force, lui est spécialement intolérable.
D’une façon ou d’une autre, il lui faut être vaincu. Chacun a un Christ qui veille en soi.
Au faîte de lui –même, au sommet de sa forme, l’homme cherche à être culbuté. N’y tenant plus, il part pour la guerre et la Mort le soulage enfin.
C’est une illusion de croire qu’un homme disposant d’une grande force sexuelle, lui, au moins, aura le sentiment et le goût de la force. Hélas, plus vivement qu’un autre pressé de se débarrasser de ses forces, comme s’il était en danger d’être asphyxié par elles, il s’entoure de femmes, attendant d’elles la délivrance. En fait, il ne rêve que de dégringoler dans la faiblesse la plus entière, et de s’y exonérer de ses dernières forces et en quelque sorte de lui-même, tant il éprouve que s’il lui reste de la personnalité, c’est encore de la force qu’il doit être soulagé.
Or, s’il est bien probable qu’il rencontre l’amour, il est moins probable que l’ayant expérimenté, il quitte jamais ce palier pour bien longtemps. Il arrive cependant à l’un ou l’autre de vouloir perdre d’avantage son Je, d’aspirer à se dépouiller, à grelotter dans le vide (ou le tout). En vérité, l’homme s’embarque sur beaucoup de navires, mais c’est là qu’il veut aller.
S’il s’obstine dans la continence, comment se défaire de ses forces et obtenir le calme ?
Excédé, il recourt à l’éther.
Symbole et raccourci du départ et de l’annihilation souhaités.
Henri Michaux
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour, j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coups de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’ infini-esprit sous-jacent ouvert à tous,
ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux
La simplicité
Ce qui a manqué à ma vie jusqu’à présent, c’est la simplicité.
Je commence à changer petit à petit.
Par exemple, maintenant, je sors toujours avec mon lit, et quand une femme me plaît, je la prends et couche avec aussitôt. Si ses oreilles sont laides et grandes ou son nez, je les lui enlève avec ses vêtements et les mets sous le lit, qu’elle retrouve en partant ; je ne garde que ce qui me plaît.
Si ses dessous gagneraient à être changés, je les change aussitôt. Ce sera mon cadeau. Si cependant je vois une autre femme plus plaisante qui passe, je m’excuse auprès de la première et la fais disparaître immédiatement.
Des personnes qui me connaissent prétendent que je ne suis pas capable de faire ce que je dis là, que je n‘ai pas assez de tempérament. Je le croyais aussi, mais cela venait de ce que je ne faisais pas tout comme il me plaisait.
Maintenant, j’ai toujours de bonnes après-midi. (Le matin, je travaille.)
Henri Michaux
Je voudrais être cendres plutôt que poussière !
Je voudrais que mon étincelle s’épuise dans un ardent brasier
plutôt qu’elle soit étouffée par de la moisissure.
Je voudrais être un météore superbe, chaque atome de moi
en grandiose lueur, plutôt qu’une dormante et permanente planète.
La fonction de l’homme est de vivre, pas d’exister.
Je ne gaspillerai pas mes jours à tenter de les prolonger.
J’userai mon temps.
Jack London
J’ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue et l’accent
que de nuit me pose sur la joue
la solitaire rose de ton haleine.
J’ai peur d’être sur ce versant
un tronc sans rameaux et désespère
de n’avoir fleur, pulpe, ni terre
pour le ver de mon tourment.
Si tu es mon trésor caché,
si tu es ma croix, mon chagrin mouillé,
si je suis le chien de ta seigneurie,
ne me laisse perdre ce que j’ai gagné
et vois ta rivière embellie
des feuilles de mon automne dévoué.
Frederico Garcia Lorca
Je viens pencher ma tête
à la fenêtre et vois
que le vent de sa lame
essaie de la couper.
Dans cette guillotine
invisible, je mets
les têtes sans prunelles
de tous mes désirs, tous.
Un parfum de citron
emplit l’instant immense,
cependant que le vent
s’éploie en fleur de gaze.
Frederico Garcia Lorca
La brebis galeuse
Justement la plus belle brebis devint galeuse. Comme c’était la plus belle, on aima cette gale et d’autres brebis voulurent devenir galeuses. Une seule brebis demeura sans gale. Eh bien, on lui tint rigueur, on la mit à l’écart. Et on la nomma la brebis galeuse.
Géo Norge
Les oignons
Si les oignons font pleurer, c’est à cause du respect humain. Dans l’ancien temps, les oignons faisaient rire et chacun les respiraient afin de trouver la gaîté. Un sage blâma ce rire dénué de fondement et les oignons en furent humiliés. Ils comprirent que les larmes seules sont tolérables sans motif.
Géo Norge
Je rivalise avec l’horizon
pour qu’un jour le soleil recule en moi.
Vouée à l’excès,
rien ne suffit, rien ne me sauve.
Femme éphémère, donc inaccessible
je ferme mes ovaires
étuves du monde
pour n’être pas souillée – Déméterienne.
Des eunuques
éponges des égouts
m’encerclent.
Enfin j’ai marché sur les terres de l’amour
où la détresse pétrifie les vagues
se ruant vers la pleine lune,
la soif du sel comment la dire,
et les abandonnent libres.
Peu avant que la nuit tombe à jamais.
Je ne veux pas de l’amour
coincé entre deux,
comment la balle en pointant peut-elle chercher l’immortalité ?
ni de celui de l’alerte au franchissement des bornes.
Comment a-t-on pu construire avec des matériaux de l’esprit
cette maison de la honte, le corps ?
Terre de seconde zone
aux épouses privées
aux maîtresses communes.
Je resterai non mariée au mensonge
même si
plus tard la lueur de la lampe
m’est nécessaire – un soleil pour moi seule.
J’ai mérité
le sperme sanglant de volupté.
Athina Papadàki
Une lettre
Notre vie est désormais une lettre
Porteuse d’un important message
Dont l’expéditeur et le destinataire
Se sont perdus dans les vagues de réfugiés.
Pourtant la lettre va et vient
D’un bureau de poste à l’autre
Sans que nul ne l’ouvre
Sans que nul ne la jette
Barrée toujours de la mention « urgent »
Avec les noms pâlis des deux côtés
Que les postiers seuls prononcent
Comme les savants dans les laboratoires
Disent les noms d’espèces disparues.
Titos Patrikios
C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands vents à l’œuvre parmi nous,
Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah ! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril,
Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles.
Saint John Perse
Parfois, en certains jours de lumière parfaite et exacte, où les choses ont toute la réalité dont elles portent le pouvoir, je me demande à moi-même tout doucement pourquoi moi aussi j’ai la faiblesse d’attribuer aux choses de la beauté.
De la beauté, une fleur par hasard en aurait-elle ?
Un fruit, aurait-il par hasard de la beauté ?
Non : ils ont couleur et forme et existence tout simplement.
La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas et que je donne aux choses en échange du plaisir qu’elles me donnent.
Cela ne signifie rien.
Pourquoi dis-je donc des choses : elles sont belles ?
Oui, même moi qui ne vis que de vivre,
Invisibles, viennent me rejoindre les mensonges des hommes devant les choses,
devant les choses qui se contentent d’exister.
Qu’il est difficile d’être soi et de ne voir que le visible !
Fernando Pessoa
Le mystère des choses, où donc est-il ?
Où donc est-il, qu’il n’apparaisse point
pour nous montrer à tout le moins qu’il est mystère ?
Qu’en sait le fleuve et qu’en sait l’arbre ?
Et moi, qui ne suis pas plus qu’eux, qu’en sais-je ?
Toutes les fois que je regarde les choses et que je pense à ce que les hommes pensent d’elles,
je ris comme un ruisseau qui bruit avec fraîcheur sur une pierre.
Car l’unique signification occulte des choses,
c’est qu’elles n’aient aucune signification occulte.
Il est plus étrange que toutes les étrangetés
et que les songes de tous les poètes
et que les pensées de tous les philosophes,
que les choses soient réellement ce qu’elles paraissent être
et qu’il n’y ait rien à comprendre.
Oui, voici ce que mes sens ont appris tout seuls :
les choses n’ont pas de signification : elles ont une existence.
Les choses sont l’unique sens occulte des choses.
Fernando Pessoa
Mon regard est net comme un tournesol.
J’ai l’habitude d’aller par les chemins,
jetant les yeux de droite et de gauche,
mais en arrière aussi de temps en temps…
Et ce que je vois à chaque instant
est ce que jamais auparavant je n’avais vu,
de quoi j’ai conscience parfaitement.
Je sais éprouver l’ébahissement
de l’enfant qui, dès sa naissance,
s’aviserait qu’il est né vraiment…
Je me sens né à chaque instant à l’éternelle nouveauté du Monde…
Je crois au monde comme à une pâquerette,
parce que je le vois. Mais je ne pense pas à lui
parce que penser c’est ne pas comprendre…
Le Monde ne s’est pas fait pour que nous pensions à lui
(penser c’est avoir mal aux yeux)
mais pour que nous le regardions avec un sentiment d’accord…
Moi je n’ai pas de philosophie : j’ai des sens…
Si je parle de la Nature, ce n’est pas que je sache ce qu’elle est,
mais parce que je l’aime, et je l’aime pour cette raison
que celui qui aime ne sait jamais ce qu’il aime,
ni ne sait pourquoi il aime, ni ce que c’est qu’aimer…
Aimer, c’est l’innocence éternelle,
et l’unique innocence est de ne pas penser.
Fernando Pessoa
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et les oreilles
et avec les mains et avec les pieds
et avec le nez et avec la bouche.
Penser une fleur c’est la voir et la respirer
et manger un fruit c’est en avoir le sens.
C’est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
je me sens triste d’en jouir à ce point,
et couche de tout mon long dans l’herbe,
et ferme mes yeux brûlants,
je sens tout mon corps couché dans la réalité,
je sais la vérité et je suis heureux.
Fernando Pessoa
Lieux
II y a dans l'âme des lieux
si sombres
que même les aveugles
peuvent compter les étoiles
filantes
compter les étoiles
et faire de nombreux vœux
autant que peut contenir l'âme
d'un aveugle
il y a dans l'âme des plages
si sombres
que même les voyants
croient que c'est le ciel
chaque paillette de mica renferme
une étoile qui est tombée
de telle façon que le monde
de l'âme
semble n'avoir ni queue ni tête
Ruy Proença
Egocentrisme
Je m’attendais au coin de la rue
j’avais envie de me faire peur
en effet lorsque je me suis vu
j’ai reculé d’horreur
Faisant le tour du pâté de maison
je me suis cogné contre moi-même
c’est ainsi qu’en toute saison
on peut se distraire à l’extrême
Raymond Queneau
La maternité
Ne vous laisse pas tromper par les apparences.
La beauté de la femme quand elle est mère est faite de la maternité qu’elle sert : et quand elle est parvenue à la vieillesse, de ce grand souvenir qui vit en elle. L’homme, me semble-t-il est aussi maternité, au physique et au moral ; engendrer est pour lui une manière d’enfanter, et c’est réellement
« enfanter » que de créer de sa plus intime plénitude.
Rainer Maria Rilke
Ami silencieux des nombreux lointains, sens ton souffle encore, accroître l’espace.
Dans la charpente obscure des clochers fais-toi retentir.
Ce qui vit de toi, cette nourriture en fait une force.
La métamorphose, entre en elle et sors.
Quelle est la plus douloureuse expérience?
Boire est-il amer pour toi, fais-toi vin.
Dans cette nuit de démesure, sois magique puissance où tes sens se croisent, de leur rencontre étrange sois le sens.
Et si tu es oublié du Terrestre, à la terre immobile dis: Je coule.
À l’eau dans sa hâte parle: Je suis.
Rainer Maria Rilke
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh !là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse,
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre, où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Arthur Rimbaud
Les cahiers de Douai
Pense aux plages, pense à la mer,
Au lisse du ciel, aux nuages,
A tout cela devenant chair
Et dans le meilleur de son âge,
Pense aux tendres bêtes des bois,
Pense à leur peur sur tes épaules,
Aux sources que tu ne peux voir
Et dont le murmure t’isole,
Pense à tes plus profonds soupirs,
Ils deviendront un seul désir,
A cela dont tu chéris l’image,
Tu l’aimeras bien d’avantage.
Ce qui était beaucoup trop loin
Pour le parfum ou le reproche,
Tu vas voir comme il se rapproche
Se faisant femme jusqu’au lien,
Ce dont rêvaient tes yeux, ta bouche,
Tu vas voir comme tu le touches.
Elle aura des mains comme toi
Et pourtant combien différentes,
Elle aura des yeux comme toi
Et pourtant rien ne leur ressemble.
Elle ne te sera jamais
Complètement familière,
Tu voudras la renouveler
De mille confuses manières.
Voilà, tu peux te retourner
C’est la femme que je te donne
Mais c’est à toi de la nommer,
Elle approche de ta personne.
Jules Supervielle
La fable du monde
Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.
Jules Supervielle
Plus rien même pas de la cendre
même pas le souvenir plus rien
Plus rien sauf cette joie de l’oubli
ce vent de l’oubli qui arrache tout
détruit tout et saccage le reste
Le moment est enfin venu de ne plus espérer
de ne plus attendre de ne plus croire
de ne plus s’imaginer de ne plus trembler
savoir qu’on ne craint plus le vide
que tout est consommé consumé désincarné
que ce qui était n’est plus plus rien
même plus rien même pas le néant
Je ne ricane plus je ne souris plus
je ne baisse plus les yeux ni ne les lève
je ne les frotte même plus je ne dors pas
je veille comme une pierre sans son ombre
et je suis transparent comme le temps
je vis comme vivent les nuages et la fumée
je m’efface et jusqu’aux dernières traces
Philippe Soupault
Les ailes me terrifient
J’aime la terre simple
La chaude poussière de chaque jour
Elle marche dans le vent, nous apprend
A voir les ombres des étoiles
Les branches les regards qui nous attendent
Une colombe confiée à l’épaule du soleil
Feuille, plume abandonnée
Eau qui court
Ciel chaleureux
La tendresse de la terre
Qui sait
Bientôt de l’épaule du ciel
Nous glissons d’abîme en abîme
Plus bas que les animaux
Dans la nuit
Nous l’avons oublié
Notre cœur nous dépasse
Mer chargée de hauteur inversée
D’amour des anges
Qui peut rester debout sur la rive en plein vent
Sur la ligne droite où s’ouvre le voyage
Yorgos Thèmelis
Longeant les murs familiers nous entendons le bruit.
Comment dire s’il vient de nos pas ou d’autres
Qui un jour se sont mis à nous suivre.
Comment savoir ce que nous sommes : le musicien ou l’instrument.
Si c’est nous qui marchons les yeux tournés vers l’ombre longue
Derrière nous, ou si c’est elle qui nous pousse
Comme pendus par elle à un arbre
(Ou une citerne, un miroir ancien)
Dévalant de jardin en jardin
Tel un autre visage – ou d’autres se pénétrant
Comme les mots d’un poème qui avance
Avec ruptures, détours et l’enchaînement des images
Ou les reflets, ce clair-obscur au tableau noir.
Aussi, quand le soir tombe, entourés de froid et de frayeurs,
Nous lançons des lueurs à l’approche des autres,
Nous nous cherchons les uns les autres dans la nuit.
Yorgos Thémèlis
Qu’est-ce qu’ils bouffent ?
Les noiseaux
Mangent des noisettes
Les crapauds des pâquerettes
Les chats des chalumettes
Quand il fait frais
Des chalumeaux
Quand il fait chaud
Paul Vincensini
Africains
Autant de fois
Que le soleil décline
Et nous oblige à faire feu
Ascètes relevés des dilemmes
Le secret de notre influence
Jamais ne s’est perdu
Nous retrouvons l’empire du soleil
Ayant sombré comme des périscopes
Dans les remous du sol natal
Démembrés jusqu’à l’invisible
Et jusqu’au lieu sans heure faisant surface
Parmi les incroyables revenants
Nous retrouvons l’empire du soleil.
Kateb Yacine